Lorsque je me retourne sur ces trente dernières années, mes trente glorieuses consacrées à cette grande aventure ou ce grand merdier – question d'éclairage – qu'est l'art, je m'aperçois que
le cheval y occupe une place importante. Pourtant je ne suis pas cavalier, ou si peu !
Si ce n'est pas la discipline qui me fascine, peut-être est-ce l'animal ? La bestiole est forte, puissante, élégante, c'est là son moindre défaut. Trop belle. Trop séduisante. En deux mots, trop facile. Seul les artistes sans imagination empoignent le beau sujet pour tenter d'en faire du beau ; au mieux ils y parviennent, la belle affaire… Les autres, moins nombreux, essaient vaille que vaille au delà de l'esthétique de voir derrière les flammes noires, comme dit Michel Bataille, et tentent de faire surgir la beauté de
la laideur, de l'insignifiant, du dérisoire.
Mais concernant cette série, il faut chercher ailleurs,
et c'est sans doute Michel Tournier qui m'a soufflé le premier mot : " On ne fera jamais assez l'éloge des fesses. On frémit en pensant qu'un caprice de la création aurait pu priver l'homme et la femme de cette double rondeur
où vient se réfugier tout ce qu'il y a en eux de plus tendre, passif, aveuglément confiant et
voué aux coups et aux obscurs dévouements…
Et notez encore ceci : l'extraordinaire faveur dont jouit le cheval auprès de l'homme – "
sa plus belle conquête "– sa réputation de beauté, de sensibilité, ne croyez pas que ce soit à son rôle historique dans nos guerres, et nos travaux qu'il le doive. Non, c'est simplement que le cheval –
à l'opposé du chien, du boeuf, du chameau
et même de l'éléphant – est le seul animal
qui possède des fesses, privilège qui suffit
à lui conférer une incomparable humanité."