Quand j'étais petit mon père avait acheté
un manoir en Creuse. Il l'avait acheté avec tous les meubles et les placards remplis. Le vieux Monsieur était mort et ses enfants n'étaient pas interessés par ses affaires. C'était magique.
Il y avait dans tout ce trésor une capote de poilu, une vieille capote bleu horizon mitée
et un vieux fusil Lebel à la crosse cassée.
Avec mon cousin on passait la capote comme déguisement. Mon grand-père aussi avait fait
la guerre 14, avec le casque bleu, mais du siècle,
et engagé à dix-huit ans en 1918, il avait surtout failli mourir de la grippe espagnole. J'avais fait le calcul et je m'étais aperçu que j'étais né même pas quarante ans après la fin de cette guerre
et ça m'avait semblé peu. Chez mon grand père il y avait L'illustration,
le Paris Match de l'époque. Avec des dessins de fantassins chargeant à la Rosalie, et les gaz,
les poilus en pied de Georges Scott.
La Baïonnette, un journal illustré, avec Gus Bofa
et d'autres dessinateurs de talent.
Je sais pas pourquoi je raconte tout ça.
Je sais pas pourquoi la misère de tous ces gars dans les tranchées ça me touchait. Ils étaient morts, avaient souffert pour rien ou pour pas grand chose. Depuis, je me suis toujours méfié des idées, des gens qui savent ou de ceux
qui décident, de ceux qui dirigent, qui disent
ce que tu dois faire et aussi de ceux qui braillent quand ils sont en masse dans les gares.
Les beaux uniformes aux couleurs chamarées se transforment vite en capote bleue horizon maculée de boue et trempée dans la lumière
crue de la nuits